Déjanire : l'oeuvre



Le Déjanire crée à Béziers en 1898 n'est pas un opéra, mais une sorte de "spectacle total" composé de textes déclamés par des acteurs, de commentaires de l'action chantés par des solistes et des choeurs, de ballets et de passages symphoniques. L'histoire s'inspire de la mythologie grecque, où Déjanire est la femme d'Héraclès.

L'influence d'Orange et du théâtre antique

L'idée de Saint-Saëns de créer un spectacle de ce type dans les arènes de Béziers s'inscrit dans deux tendances de la fin du XIXième siècle: d'une part le goût pour le "théâtre à l'antique", d'autre part l'essor du théâtre populaire de plein air.

Le théâtre d'Orange en 1914 (photographie de presse, agence Rol)



L'organisation, à partir de 1860, de représentations théatrales dans le théâtre romain d'Orange, puis d'opéras (en 1866, "Joseph", du compositeur de l'époque de la française Étienne Nicolas Méhul) est l'occasion pour les artistes français de s'interroger sur le théâtre antique et sur la manière de le "renouveller" dans des créations contemporaines. [MAR 1908]

Saint-saëns, qui a réfléchi dès les années 1880 sur la question des décors du théâtre romain [CSS 1886], participe à ce mouvement et compose un "Hymne à Pallas-Athéné" qui sera crée aux arènes d'Orange en 1894 [MAR 1908].


Paul Marièton, "Le théâtre antique d'Orange et ses chorégies", Paris, 1908

Cette expérience d'Orange amène Saint-Saëns à s'orienter, pour la création qu'il projette dans l'immense théâtre en pein air des arènes de Béziers, vers une sorte de spectacle théatral et musical inspiré du théâtre antique:

"Mais était-ce bien un opéra qui convenait aux arènes de Béziers ? Monsieur Saint-Saëns estima qu’il serait plus conforme à la vérité artistique de tenter une nouvelle reconstitution des représentations grecques, analogues à celles, d’inoubliable mémoire, qui avaient été données à Orange." [LT 1898]

Saint-Saëns doit penser en particulier à un spectacle donnée à Orange l'année d'avant: Les Erinnyes. Cette "tragédie antique" écrite par Leconte de Lisle avait été créée à l'Odéon en 1873. En août 1897, la piéce est jouée dans le théâtre antique d'Orange , accompagnée d'une musique écrite par Massenet . Le spectacle est conçu pour être un évènement prestigieux: acteurs de premier plan de la comédie française (Jean Mounet-Sully, etc), orchestre d'Edouard Colonne, et, dans le public, présence du président de la république, M. Félix Faure. [MAR 1908]

Le texte: un drame en prose, par Louis Gallet

Le texte de Déjanire est écrit par Louis Gallet (1835-1898) qui, parallèlement à une carrière dans l'administration de l'Assistance publique où il fut notamment directeur de l'hôpital Lariboisière, a travaillé pendant les trente dernières années du XIXème siècle comme librettiste pour Camille Saint-Saëns, Jules Massenet, Gounod et d'autres compositeurs français. Déjanire est sa dernière oeuvre. Louis Gallet meurt en novembre 1898, deux mois après la création de Déjanire.

Louis Gallet


Louis Gallet reprend un sujet qui a été traité dans l'antiquité par Sophocle ("Les Trachiniennes") et Sénèque ("Hercule au mont Oeta"). Pour contrer l'infidélité de son époux Hercule qui s'apprête à la répudier pour épouser Iole, Déjanire lui fait parvenir une tunique magique, que lui a offert jadis le centaure Nessus en lui disant qu'elle avait le pouvoir de faire revenir Hercule à elle, s'il lui était infidèle. Mais en réalité, cette tunique a un tout autre pouvoir: celui d'infliger à Hercule des souffrances tellement horribles qu'il est obligé de se suicider pour leur échapper.

A cette histoire classique, Gallet ajoute un élément nouveau de son cru: une histoire d'amour entre Philoctète, l'ami d'Hercule, et Iole.

La partition de Saint-Saëns

Alfred Bruneau, compositeur et critique musical, décrit ainsi dans le Figaro du 12 novembre 1898 la partition de Déjanire:

« Les quinze morceaux de la partition, digne – je le dis tout de suite – du grand talent de M. Camille Saint-Saëns, sont comme autant d’illustrations, largement ou légèrement dessinées, des principales pages de la tragédie de Louis Gallet. Des préludes, des chœurs parfois développés, des musiques souvent très brèves, un seul accord d’orchestre, quelques mesures de fanfare, servent à mettre les personnages de la pièce dans l’atmosphère qui leur convient, à expliquer leurs actes, à préciser leurs gestes, à ponctuer leurs tirades. Un thème tiré de « la jeunesse d’Hercule », l’un des poèmes symphoniques du compositeur de « la Danse macabre », traverse la plupart de ces morceaux qui, grâce à lui, acquièrent une unité que, cependant, l’on souhaiterait moins fragile. L’auteur, en effet, après s’être servi d’abord presque exclusivement des modes antiques, termine son ouvrage par des ensembles, des danses, des chants de caractère moderne, et ce mélange de formules disparates surprend un peu. Cela n’a pas empêché le public d’applaudir beaucoup de choses, les unes jolies, délicates, arrangées de main d’ouvrier, les autres de haut et noble sentiment […] .» ([LF 1898 12 nov]



Références

[CSS 1886]

Camille Saint-Saëns, Note sur les décors de théâtre dans l'antiquité romaine, Paris, Baschet, 1886

[CSS 1914]

Camille Saint-Saëns, Au courant de la vie, Paris, Dorbon-Ainé, 1914

[LF 1898 28 aout]

Le Figaro, Paris, 28 août 1898, page 4. Cliquer ici pour une version pdf de l'article (source: BNF).

[LF 1898 29 aout]

Le Figaro, Paris, 29 août 1898, page 4. Cliquer ici pour une version pdf de l'article (source: BNF).

[LF 1898 11 nov]

Le Figaro, Paris, 11 novembre 1898, page 1. Cliquer ici pour une version pdf de l'article (source: BNF).

[LF 1898 12 nov]

Le Figaro, Paris, 12 novembre 1898, page 4. Cliquer ici pour une version pdf de l'article (source: BNF).

[LJM 1898]

Le journal musical, Paris, 10 septembre 1898, page 11. Cliquer ici pour une version pdf de l'article (source: BNF).

[LPP 1898 25 aout]

Le petit méridional, Montpellier, 25 août 1898, page 2. Cliquer ici pour une version pdf de l'article (source: médiathèques de Montpellier Agglomération).

[LPP 1898 29 aout]

Le petit méridional, Montpellier, 29 août 1898, page 2. Cliquer ici pour une version pdf de l'article (source: médiathèques de Montpellier Agglomération).

[LPP 1898]

Le petit parisien, Paris, 29 août 1898, pages 1 et 2. Cliquer ici pour une version pdf de l'article (source: BNF).

[LT 1898]

Le théâtre, Paris, No 9, septembre 1898

[MAR 1908]

Paul Marièton, Le théâtre antique d'Orange et ses chorégies, Paris, Edition de la province (sic), 1908.